Eterview Mathieu Pasquini d’In Libro Veritas
Vous êtes le fondateur et le gérant d'une SARL on line : Réverbère qui est agence de contenu et prestataire de services... En quelques mois vous avez déposé la marque In Libro Veritas et lancé plusieurs offres innovantes en matière d'édition... Pourquoi cet intérêt pour ce milieu réputé difficile, fermé, peu rentable et où la concurrence sur le Net est déjà nombreuse ?
Mathieu Pasquini : Je crois qu'aussi loin que je me souvienne j'ai toujours aimé écrire et lire. Mais je suis surtout un amoureux de l'objet livre. Il y a quelque années, alors que j'avais épuisé mes timbres et enveloppes en envois aux diverses maison d'édition d’œuvres probablement aussi médiocres les unes que les autres, j'ai commencé l'écriture en ligne d'une petite nouvelle sur un forum. J'écrivais quelques milliers de signes par jour et modifiais l'histoire en fonction des réactions des internautes. Une fois l'histoire finie nombre de gens me demandèrent où ils pouvaient trouver l'œuvre au format papier qu'ils avaient vu naitre en direct au fur et à mesure des jours. Ce à quoi je dus bien répondre qu'il n'y avait pas la possibilité d'acheter le livre. J’ai donc attendu l'avènement de l'impression numérique pour la technique et des licences copyleft pour la philosophie, pour créer ce qui me semblait être une réponse à un manque : avoir la possibilité technique et cohérente du point de vue de la propriété artistique de faire des livres en ligne ET papier, fussent-ils en un exemplaire. Je pense que des milliers de gens ont dû se poser la question «comment faire un livre ?» sans trop de contraintes et pour pas trop cher, non pas pour gagner de l'argent avec, mais pour partager avec les autres le plaisir d'écrire et d'être lu. Je fais simplement pour les autres ce que j'aurais aimé qu'on fasse pour moi : donner un moyen simple, convivial et peu onéreux de faire un livre papier et numérique, d'en vendre un peu et de partager mes émotions avec les autres. Et, le plus important, ma rencontre avec Thomas Boitel, le développeur technique. Ainsi est né InLibroVeritas.
Votre service initial, inlibroveritas.net prône "La littérature équitable". Qu'entendez-vous par là ?
- J'espère simplement simplifier le triptyque auteur-œuvre-lecteur, en remettant l'œuvre au cœur et en permettant à l'auteur d'être en contact direct avec ses lecteurs, tout en réduisant le plus possible les étapes de production-distribution-diffusion. Un site pour écrire et lire, une interface entièrement automatisée pour générer les fichiers pour l'impression, un imprimeur numérique, des process industriels optimisés au maximum, des licences copyleft souples, et on obtient un petit système autonome de production et d'édition de livres, et de contenus littéraires et culturels. C'est le point de départ d'une petite communauté partageant le même goût pour les livres et la littérature. Et j'ai la faiblesse d'espérer que la communauté grandira et s'épanouira en toute quiétude.
L'une des principales originalités de votre offre est pour nous le "livre à la carte". Mais y a-t-il une demande ? Qu'envisagez-vous pour développer ce concept ?
- Sur InLibroVeritas vous pouvez créer entièrement votre livre de A à Z, en y compilant les œuvres présentes sur le site, comme on compilerait des mp3 dans son baladeur, sauf qu'ici le baladeur est un livre. Chacun fait son propre livre, unique au monde. La demande n'est pas encore très importante, parce que confidentielle, mais elle s'inscrit dans l'ère du temps avec à la fois modernisme technologique et charme intemporel du livre papier. Il faut simplement laisser le temps au concept de s'installer et de se faire connaître. Une fois qu'il sera bien connu et reconnu, nul doute que le modèle deviendra viable et rentable.
Pour développer le concept j'ai plusieurs pistes, dont une me parait la plus prometteuse : la zone grise de l'édition. Des millions de livres sont trop vieux pour être encore édités, et trop jeunes pour être dans le domaine public. Ce sont ainsi des trésors de littérature qui dorment dans la poussière, sombrant dans les abysses d'un oubli que même le domaine public ne sauvera pas. InLibroVeritas peut être une réponse efficace. On peut facilement mettre des titres de la zone grise sur InLibroVeritas et laisser les lecteurs (re)découvrir des titres oubliés et, pourquoi pas, les compiler dans leur livre à la carte redonnant ainsi une seconde vie économique à l'œuvre. Il n'y a que des avantages : l'éditeur se dote d'une nouvelle forme de publicité en ressortant des titres qui de toute façon “n'existaient plus”, les auteurs ou leurs ayants droits peuvent voir leur(s) œuvre(s) renaître, et le lecteur accède librement à un catalogue toujours plus riche. Tout le monde y trouve son compte. Si un éditeur veut approfondir le projet qu'il me contacte!
Plus récemment vous avez lancé ilv-edition.com "L'éditeur des auteurs libres". En quoi les auteurs qui font appel à vous sont-ils plus libres que s'ils s'auto-éditaient en indépendants et qu'est ce qui différencie votre offre de celles des multiples éditeurs en ligne ou de services d'impression à la demande ?
- Ils sont libres car ils ne sont pas seuls. En s'auto-éditant en indépendant l'auteur est seul, obligé de prendre son bâton de pèlerin pour se faire connaître et vendre. En éditant sur ILV-édition l'auteur n'est pas seul, il peut parler et échanger avec d'autres auteurs ou lecteurs, il fait partie d'une communauté qu'il trouvera toujours présente pour l'aider, ça n'a pas de prix tant cela est précieux pour un auteur. C'est d'ailleurs le cas pour certains auteurs qui ont “testé” leur(s) œuvre(s) sur InLibroVeritas, se faisant aider et corriger par des membres de la communauté. Ainsi les auteurs peuvent améliorer leurs écrits et corriger les fautes afin d'être les plus parfaits possible avant le grand saut. Et là encore ils ne sont pas seuls, la communauté est toujours présente, prête à coopérer, et comme l'auteur est libre il peut choisir lui-même le niveau d'aide et d'attention, pouvant même décider qu'ILV-édition serait un simple imprimeur quand d'autres y cherchent de l'aide et du soutien.
L'autre aspect extrêmement important est que l'auteur garde l'ensemble de ses droits, n'en cédant aucun à InLibroVeritas -pas même l'exclusivité de la distribution- ce qui garanti à l'auteur une véritable liberté, permettant de publier sous licence copyleft (Creative Commons, GNU/GPL/GFDL, LAL) et lui laisse le choix de la diffusion et de la propagation de son oeuvre. Personne n'est enfermé. Tout est basé sur une confiance mutelle et réciproque, une symbiose mutuellement profitable où chacun est à la fois dépendant et libre de l'autre.
Vous venez de nouer ces derniers mois un partenariat avec Framasoft. Vous militez ouvertement en faveur du libre et c'est à notre avis ce qui vous distingue fondamentalement des autres acteurs de l'édition, que ce soit off ou on line. En quelques mots : comment présenteriez-vous Framasoft et définiriez-vous votre engagement à leurs côtés ?
- Framasoft est l'un des leaders des sites d'information sur le logiciel et la culture libres, et peut s'honorer d'une communauté active et impliquée. Je me suis engagé au coté de Framasoft car ils tiennent depuis 2001 un discours humble, honnête et intelligent dans lequel je retrouve tout ce en quoi je crois.
- C'est un projet qui suit son cours et dont le but est de compiler des œuvres artistiques (littérature, musique, vidéo etc.) qui soient licenciées copyleft.
Avec Framasoft vous faites ce que vous appelez : "le pari du livre libre". Vous venez de lancer ensemble un nouveau site framabook.org, dédié à l'édition de livres en copyleft. Récemment Nouvolivractu s'en faisait l'écho en ces termes : "un pari qui pourrait faire date et s'inscrire dans l'histoire du livre". Nous le souhaitons sincèrement, mais pensez-vous qu'il soit possible de déboucher sur un modèle économique viable, tant pour l'éditeur que pour les auteurs ?
- Nous n’en sommes qu’au tout début, et bien malin celui qui pourra dire si la voie est la bonne, ou si nous l’empruntons de la bonne manière. Mais quelle exaltation de découvrir un monde nouveau, d'essayer de toutes nos forces et nos âmes de faire réussir ce projet. Seulement nous ne sommes pas fous ou illuminés. Nous avons travaillé dur pour mettre toutes les chances de notre coté, en produisant un premier livre de qualité, et une ligne éditoriale libre et ouverte au plus grand nombre. L'objectif est de créer une collection de livres copyleft afin que chacun puisse se les approprier et les échanger, et à chaque update du software (ou du sujet traité dans le livre copyleft) n'importe quel auteur pourra modifier et enrichir le livre tout en continuant à le partager avec la même licence de départ. Ouvrant ainsi toutes grandes les portes du savoir et de la culture démocratiquement, librement et universellement à tous, créant une sorte d'effet boule de neige culturelle.
Nous n'avons comme expérience que le logiciel libre qui depuis plus de vingt ans fonctionne de cette façon. Et ça marche ! Linux ou FireFox par exemple en sont des exemples parfaits. Alors pourquoi pas le livre ? Et puis si on n’essaye pas comment savoir ? C'est pourquoi nous allons essayer et nous battre pour réussir, car nous pensons que c'est la voie du futur. Patience et longueur de temps, nous montrerons que c'est un modèle économique viable et rentable, nous en sommes à peine au commencement. Nous allons devoir défricher, essayer, corriger, analyser, comprendre, améliorer et progresser pied à pied, pas à pas, mais nous y arriverons.
(Note de Nouvolivractu : pour soutenir cette édition et commander l'ouvrage cliquez ici...)
Ne pensez-vous pas que l'intégration de publicités liées au contexte, de publicité "intelligentes" entre guillemets, de type publireportages, etc. pourrait être une réponse à ce problème ?
- Je ne sais pas si ce type de publicité serait une bonne réponse… Les internautes en ont assez des bandeaux, pop-up, pop-under qui clignotent de partout et qui polluent les pages. Des publicités sur lesquelles ne cliquent plus les internautes. C’est vrai que les publicités contextuelles peuvent être une réponse, mais pas pour InLibroVeritas, où la publicité doit au contraire ne pas se trouver dans l’œuvre que l’internaute est en train de lire. Pour un site comme InLibroVeritas la réponse se trouve dans un partenariat véritable basé sur un projet actif et intelligent.
Comment voyez-vous l'avenir de l'édition ? Et, subsidiairement, au vu de vos innovations, vous considérez-vous réellement comme un éditeur ?
- Lorsque l'internet a explosé dans les années 90 tout le monde disait alors qu'on allait pouvoir parler avec un chinois, un angolais, un américain et voyager numériquement dans le monde entier. Comme on le sait il n'en fut rien, Internet n'étant que ce qu'on y met dedans, il ressemble à l'humanité. De fait, l'avenir de l'internet est dans les réseaux sociaux, organisés autour d'un thème précis, d'un lieu, d'un moment, d'une chose, d'une philosophie. Le futur de l'édition sera un peu équivalent : d'un coté, les gros resteront les gros, et de l'autre, une multitude de micro-éditeurs éditant un petit catalogue, dans de petites quantités, et extrêmement ciblé grâce aux progrès de l’imprimerie numérique. L’avenir est également au stock zéro et flux tendus. Sans oublier les immenses perspectives que proposent les ebooks ou les audio books qui permettront une grande rapidité de rotation des œuvres, mais leur enlevant leur côté “sacré”. C’est pourquoi je pense également que le livre papier ne disparaitra pas, il (re)deviendra un objet de légende, d’affection et de passion.
Je ne sais pas si je suis un éditeur et je m'en fiche. Car si être un éditeur c'est mettre sur le marché les miettes d'un livre qu'une star de la télé réalité n'aura pas écrit pour aller se faire interroger par un animateur plein de fiches qui ne l'aura pas lu, alors je ne suis pas un éditeur. Mais si être un éditeur c'est se sentir proche du clavier et des auteurs, comme du conducteur offset ou du petit libraire, alors oui, j'espère modestement être un éditeur, mais un éditeur d'un nouveau genre qui préfère le copyleft au copyright, qui préfère la communauté à la solitude, qui préfère donner une chance à tous que toutes les chances à un seul.
Comme vous le savez, Nouvolivractu est principalement concerné par l'émergence de nouveaux appareils et systèmes de lecture. Comment devrait être pour vous, demain, l'appareil de lecture idéal ?
- Ce n'est pas que l'appareil qu'il faut considérer, mais également le format du fichier numérique. Le format numérique devra être un format ouvert, interopérable et garanti sans mesure technique de protection bridant les libertés des lecteurs. L'appareil devra être simple d'emploi, utilisant des technologies ouvertes et libres, et d'un bon rapport qualité/prix. Il devra être également adapté aux handicapés.
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